Feb 16, 1997



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October 01, 1995, Issue: INF10
Section: Face a face

Paul Strassmann , Le information prend le pouvoir

By propos recueillis par B. de Armagnac

Directeur informatique de General Foods, de Xerox, puis du departement americain de la Defense, Paul Strassmann est une figure mondiale de le informatique de entreprise. Aujourde hui consultant, il dessine pour Informatiques Magazine le evolution des pouvoirs au sein des systemes de information de le entreprise, avec la montee en force du directeur de le information, et evoque le probleme de la productivite de le informatique.

IMag En une dizaine de annees, la place de le informatique et de son responsable dans le entreprise a ete bouleversee. Quelle est la situation aujourde hui ?

Paul Strassmann Les choses sont plus instables aujourde hui que auparavant. Quand je etais le directeur des systemes de information pour General Foods ou Xerox, ma situation etait extremement solide, car je etais " le " responsable des ordinateurs. Personne de autre ne comprenait le informatique, tous ceux qui, dans le entreprise, voulaient faire quelque chose avec le informatique devaient passer par moi. Je etais le seul a pouvoir lire " la bible de le informatique ", a lire le latin des ordinateurs. Une sorte de grand pretre.

Avec la democratisation des ordinateurs, au lieu de 50 000 personnes expertes en informatique dans le monde, il y en a maintenant 50 millions. Les gens ont des micros, ils achetent des logiciels, ils experimentent. Ils comprennent ce que ils ont besoin de savoir. Et le information circule. Les magazines specialises ont une grosse diffusion. Le informatique est partout, meme dans le New York Times. De ce fait, la position de monopole des directeurs des systemes de information disparait.

IMag Comment se traduisent ces changements dans la vie des directeurs informatiques ?

Paul Strassmann La preuve de cette instabilite est le fort turnover de la profession. La vie moyenne de un directeur informatique DI aux etatsUnis est de moins de deux ans. La raison de cette evolution est que nous avons besoin maintenant de une theorie qui etablirait la base morale, economique et ideologique de le action de un directeur informatique. Ce est pour construire une telle theorie que je ai ecrit mon livre The Politics of Information Management .

IMag Quelle doit etre cette base ideologique qui soustend le systeme de information dans le entreprise ?

Paul Strassmann Pour toute institution, il faut une theorie, une base de principes. Quelle doit etre la theorie dudirecteur de le information ? Je estime que les technologies de le information touchent moins de 8 de le information residant sous differentes formes dans le entreprise. La plupart de le information dans le entreprise est produite par des discussions, des memos, des lettres ou des meetings. De ou une premiere question le CIO estil un responsable des technologies de le information ou responsable de le information ? Il y a la une grande difference.

IMag La gestion de le information deviendrait alors une preoccupation centrale...

Paul Strassmann Absolument. Cette question est de autant plus importante que le information devient pour les entreprises plus importante que le capital.

Le capital est une chose que vous pouvez acheter, que vous pouvez emprunter facilement, mais la cle du succes pour les entreprises reside dans le information. Le probleme provient du fait que une partie de le information est dans la tete des gens. La grande question aujourde hui est celle de la gestion de la connaissance, du savoirfaire accumule par ceux qui composent le entreprise. Par exemple, par sa formation, son entrainement, son experience, un colonel dans le armee americaine a une " valeur en informations " de pres de 4 millions de dollars...Donc, comme le directeur financier est devenu le gardien des actifs de le entreprise, le avenir des directeurs des systemes de information ne est pas dans le informatique, mais dans la gestion de le information pour une entreprise.

IMag Le role du directeur informatique semble donc aller en grandissant ?

Paul Strassmann Oui. Le directeur des systemes de informations aura a le avenir un role au moins aussi important que le directeur financier, voire plus important.

IMag Comment le futur directeur de le information arriveratil a cette nouvelle position ?

Paul Strassmann Quand les comptables ont commence, il y a quelques centaines de annees, ils ne etaient que des employes aux ecritures. Puis, leur role se est amplifie de telle maniere que le directeur financier a trouve sa place au sommet de le entreprise.

Le directeur de le information de demain, responsable de le information, jouera un role horizontal, a travers les differentes fonctions de le entreprise. Il devra se occuper notamment des choix de investissements. Par exemple, quelles ressources allouer, en collaboration avec le directeur des ressources humaines, a le intelligence artificielle placee dans les machines et a la formation des hommes ? Mais il y a aussi des questions fondamentales telles que la protection des droits intellectuels. Il faut que quelque un ait, dans le entreprise, une vue globale, car le information est repartie dans differentes parties de le entreprise, que il se agisse de la direction financiere ou des usines. Si le on considere que le actif le plus important devient le information et non plus la capital, ce est le information de le entreprise que le on cherchera a voler. Il faut quelque un qui protege le information de le entreprise contre le vol.

Dans un proche futur, je pense que le on verra le directeur de le information apparaitre en bonne place dans le rapport annuel des entreprises pour affirmer la valeur en informations de ces dernieres, comme les directeurs financiers le font aujourde hui pour les comptes et la valeur en capital.

IMag Qui peut occuper le siege de responsable de le information ?

Paul Strassmann Des gens qui ont une vue large du metier de le entreprise. Dans le avenir, si le information est la base competitive de le entreprise, alors il y a des chances que " le information manager " devienne un jour PDG, tout comme dans le passe, beaucoup de PDG sont arrives a partir de leur poste de directeur financier.

IMag Les directeurs informatiques actuels sontils conscients de cette evolution ?

Paul Strassmann Pour beaucoup de entre eux, oui. Parce que la realite detruit la base ancienne du grand pretre, gardien de le ordinateur. Le information est le pouvoir. Si vous ne comprenez pas cela, vous ne comprendrez pas les technologies de le information.

Aux etatsUnis, les directeurs des systemes de information ont compris ces enjeux, en partie parce que les budgets informatiques sont de un montant significatif. Dans beaucoup de entreprises americaines, le budget informatique est superieur aux profits. Donc ce est du serieux maintenant.

IMag Se ils percoivent ces enjeux, les directeurs informatiques vontils etre capables, pour autant, de prendre cette place "de information manager " ?

Paul Strassmann Beaucoup de entre eux en sont encore au stade de comptables et pas encore de directeurs financiers. Certains comptables sont devenus des directeurs financiers. Ce que le on va voir dans la profession informatique ce est une gradation entre responsable informatique et directeur de le information.

IMag Quelles sont les autres forces qui font evoluer la position du directeur informatique ?

Paul Strassmann Dans la plupart des entreprises, le informatique ne est que un centre de cout, avec un monopole. Tant que le directeur informatique reste a la fois un fournisseur en position de monopole et un conseiller, il y a un conflit de interet dans ce que je appelle " la constitution de le information ".

IMag Le outsourcing pourraitil constituer une solution a ce probleme ?

Paul Strassmann Cela peut le etre. Beaucoup de gens pensent a le outsourcing non comme une solution economique mais comme une solution plutot strategique, plutot politique. Ce est un moyen de resoudre ce conflit de interets.

IMag Une autre solution peutelle etre trouvee dans des comites reunissant utilisateurs, direction generale et directeur informatique ?

Paul Strassmann Je ai participe a des comites de pilotage pendant trentecinq ans, et je peux vous dire que, sans constitution prealable, cela ne marche pas. Les debats deviennent agressifs, ce est une perte de temps ou chacun defend ses interets et cela finit dans la violence. Il faut donc que il y ait un equilibre entre les differents pouvoirs.

Je pense que la solution est dans des formes de gouvernement dans le entreprise " governance ". La constitution de tels comites doit etablir qui fait quoi, quels sont les droits de chacun des membres du comite de pilotage. Dans ce cadre de travail, il ne faut evidemment pas oublier les utilisateurs finals, qui ont du pouvoir de toute facon. Chacun possede aujourde hui sur son bureau le equivalent de un mainframe de hier. Le monopole des grands pretres de le informatique est revolu.

IMag Comment definiriezvous ce gouvernement de le informatique dans les entreprises ?

Paul Strassmann De un point de vue general, le gouvernement dans le entreprise baptise " governance " dans les entreprises anglosaxonnesNDLR est le processus selon lequel les interets et les intentions locaux peuvent etre satisfaits dans un contexte de objectifs de division de entreprise, qui doivent a leur tour etre satisfaits dans le contexte des objectifs de le entreprise dans son ensemble, et des objectifs de la societe plus generalement. Le principe de "governance " permet de respecter les droits des individus a la connaissance, a la confidentialite de le information et au developpement personnel a travers le acquisition de savoirfaire qui est necessaire pour la prosperite dans une societe future fondee sur la connaissance. Mon modele de gouvernement est fonde sur les principes de une societe democratique ou les interets individuel, local, regional, national et mondial ne ont pas a entrer en conflit. Pour arriver a ce modele de "governance ", il faut etablir a le avance un processus pour resoudre les conflits, pour arriver au consensus et pour faire appel des decisions prises.

IMag Le business reengineering pourraitil permettre un meilleur transfert de pouvoir vers les utilisateurs ?

Paul Strassmann a la suite de la publication des ecrits de Mike Hammer et devant la facon dont cela etait mis en #166;uvre, ma position sur le business reengineering a ete de dire que cela contenait un message empreint de violence ; ce est devenu le portedrapeau de la guillotine. De ou mon article intitule " Hammer, Robespierre of the Information Revolution ".

Maintenant apres trois ou quatre ans de experience, les gens se rendent compte que vous ne pouvez pas, de un cote, dire que vous voulez construire une organisation a base de connaissance et de loyaute, et dans le meme temps, supprimer les emplois de milliers de personnes dans le entreprise et le faire de une maniere abrupte.

IMag Le idee serait donc bonne, et ce est plutot la mise en #166;uvre qui peut etre cause de derapages...

Paul Strassmann Tout a fait. Je dois vous dire que je ai abondamment pratique le BPR Business Process Reengineering quand je etais au departement americain de la Defense. Ce qui importe dans le business reengineering, ce est la maniere de le faire et de le legitimer.

La tragedie en matiere de business reengineering tient au fait que les directeurs informatiques, aux etatsUnis, arrivaient alors a court de capital intellectuel. Ils manquaient de idees, de concepts forts pour soustendre leur action. Hammer leur a permis de prendre ce concept, enonce a partir de principes vieux de plusieurs dizaines de annees, et de en faire leur ticket ideologique pour le pouvoir. De ce fait, pour beaucoup de directeurs informatique, le BPR etait un moyen de contrer la perte de pouvoir que ils ressentaient avec la montee de la micro.

De plus, certains directeurs informatiques sont devenus des mercenaires charges de effectuer le " sale travail " pour les PDG en quete de redressement des resultats de leur entreprise.

IMag Les systemes de information deviennent donc un outil de competitivite majeur pour le entreprise. Mais avezvous le sentiment que les entreprises sont en mesure de evaluer le impact de le informatique sur leur activite ?

Paul Strassmann Le probleme est que le on sait mesurer le lien entre un investissement en marketing, en publicite ou en production et le activite de le entreprise et son profit. Il existe des outils pour cela. En revanche, ce lien ne est pas compris en matiere de systeme de information, par la faute en grande partie de le industrie et des directeurs informatiques.

Le directeur informatique dit " donnezmoi 20 millions de dollars, et je vais faire ceci, cela ", et le PDG doit traduire cela dans ses previsions de profit. Le processus budgetaire est plus faible en matiere de technologies de le information que pour le processus de fabrication, publicite, marketing. Le ideologie a ete jusquela " Les ordinateurs sont bons, peu chers ; les Mips grimpent et les prix des memoires baissent. "

Le directeur informatique se contente de un engagement sur le calendrier de livraison du projet. Or, livrer dans les temps peut etre ou ne pas etre la chose a faire. Plus cela prend de temps pour developper le systeme, plus le developpeur essaie de diminuer les fonctionnalites. Pendant ce temps, le utilisateur accroit ses connaissances et les conditions changent. De fait, apparait un decouplage entre les realisations informatiques et les conditions changeantes du marche. Le mecanisme par lequel le directeur informatique travaille avec la firme reste donc encore imparfait.

IMag Le information est, selon vous, le capital de le avenir. Pour mieux etablir son poids dans le entreprise, comment en mesurer la valeur ?

Paul Strassmann Le principe de base stipule donc que le information recele une richesse plus importante que le capital. Et ce ne est pas le capital qui produit la richesse, ce est le management qui la genere. a partir de la, la mesure de la richesse de une entreprise est fondee sur le retour sur management et non plus le retour sur le capital. Pour cela, je preconise de construire un index a base de valeur ajoutee economique " EVA " et de couts de fonctionnement voir encadre qui doit, in fine, permettre de etablir un index de productivite de le information. a la question " y atil un signe quelconque de une correlation entre le budget informatique et la valeur ajoutee economique? ", mes travaux me permettent de repondre non.

Bibliographie de Paul Strassmann

The Business Value of Computers 1989

The Politics of Information Management 1994

Edites par The Information Economics Press

fax [19] 1 203 966 5506.

Comment mesurer la productivite de le information ?

Puisque le information devient un actif strategique, la mesure de la performance de le entreprise ne doit plus se faire a partir de ratios classiques se appuyant sur le chiffre de affaires ou le benefice, estime Paul Strassmann, mais plutot sur le "retour sur le management ". Ce concept traduit la capacite des dirigeants de le entreprise a creer de la valeur. Les investissements en capital dans la technologie ne suffisent pas pour creer de la valeur. Tout est affaire de gestion et de savoirfaire des employes. Pour construire un indice de productivite de le information de le entreprise, Paul Strassmann utilise de nouveaux types de ratios financiers. a la base de son calcul, il y a le EVA Economic Value Added , une methode mise au point par le cabinet americain Stern, Stewart and Co. Le EVA fait fureur dans les cercles dirigeants anglosaxons et fait ses premiers pas en France. Calculee en soustrayant le cout des actifs de le entreprise a son resultat operationnel, le EVA a pour objectif de estimer la capacite de le entreprise a creer des richesses a partir du capital investi dans le entreprise. Paul Strassmann evalue ensuite le cout du management en additionnant les couts commerciaux et de administration Sales General and Administrative SG and A dans les comptabilites americaines et les depenses en R and D. Enfin, il etablit son Index de productivite de le information en divisant le EVA par ces couts de fonctionnement et de R and D. Une entreprise qui a un index positif utilise bien son information pour generer de la valeur... et en faire beneficier ses actionnaires.

De apres les calculs effectues par Paul Strassmann sur les resultats financiers de 1993 rendus publics par les grandes entreprises americaines, on peut noter les "Index de productivite de le information" suivants

Cisco 0,95,

EMC2 0,54,

Microsoft 0,46

Compaq 0,12

Oracle 0,08

Apple 0,03

IBM 0,29

Data Genera 0,53

Amdahl 0,93

Pour une explication de le Economic Value Added EVA, voir le numero 501 du 15 mai 1995 de Le Expansion, ou le numero de mai 1995 de Le Essentiel du Management.

Copyright 1995 CMP Publications inc.

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